Les aspirateurs-robots font plus qu'aspirer ! L'IA les transforme en vrais assistants… et le futur est bluffant
Îlots de high-tech méconnus dans nos domiciles, les aspirateurs-robots sont capables de naviguer en gymkhana dans les chambres d’ados et entrées parsemées de chaussures, mais aussi de reconnaître les surfaces et taches qu’ils rencontrent. Tout cela grâce à l’IA !
© Les Numériques / Google Gemini
Héritiers d’appareils bruyants, lourds, mono-taches et relégués dans un placard, les aspirateurs-robots sont souvent peu considérés et perçus comme des objets bêtes et méchants, qui finissent toujours par s’emmêler dans un câble, s’échouer sur un coin de tapis trop épais ou avaler une chaussette abandonnée. Une image qui change peu à peu grâce aux progrès technologiques, des investissements massifs d’acteurs présents à l’échelle du globe… et l’IA.
Un marché qui grossit rapidement
Pour faire un point sur les progrès récents et le futur plus ou moins lointain, nous avons eu l’occasion d’interviewer par email des ingénieurs de Roborock, et de vive voix James Zhao, responsable du département de machine learning au sein de Narwal. Deux acteurs chinois qui pèsent lourd dans ce marché en forte croissance.
La popularité de ces appareils a explosé, comme l’a rappelé Sophie Tantawy, directrice commerciale France de Roborock, lors du lancement des dernières nouveautés de sa société, en mars dernier. En 2016, dans l’Hexagone, les aspirateurs-robots représentaient 8 % des ventes d’aspirateurs. En 2024, cette part de marché a presque doublé à 15 %. Une progression colossale, d’autant plus que ces ventes représentent 25 % de la valeur générée… Les aspirateurs-robots sont donc bien plus qu’une mode, qu’un gadget sans lendemain.
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Une longue histoire qui décolle enfin
Les aspirateurs-robots ont une histoire bien plus ancienne que beaucoup peuvent le penser. Les premiers modèles ont été commercialisés dans la seconde moitié des années 1990, sans rencontrer un grand succès. Ils étaient basiques et peinaient à évoluer dans un intérieur, même bien rangé.
Pourtant, en 1956, l’auteur du premier brevet déposé pour un “robot laveur de sol”, l’ingénieur étasunien Donald G. Moore imaginait déjà un robot capable d’aspirer et de nettoyer le sol… Un Eldorado qui n’a été atteint, objectivement, qu’assez récemment. Il faut dire qu’on a tendance dans “aspirateur-robot” à n’entendre qu’aspirateur et à oublier “robot”. Or, c’est la partie essentielle, là que toutes les difficultés s’amoncellent (ou presque). Tous ces appareils se trouvent au point de conjonction de deux mondes complexes, celui des bits et celui des atomes, qu’il est très difficile de faire cohabiter…
James Zhao, responsable du département de machine learning de Narwal © Narwal
Il a donc fallu attendre longtemps que différents facteurs se mettent en place : les besoins présents d’emblée, les composants et un troisième ingrédient capital : l’IA. C’est ce que nous explique James Zhao, qui rappelle que le besoin est là depuis longtemps, comme pour les lave-linge, mais qu’il a fallu un déclic, une petite révolution et ses effets collatéraux : les smartphones.
S’ils ne sont pas la raison première du succès des aspirateurs-robots, “nous devons reconnaître que les smartphones jouent un rôle d’accélérateur, au travers du développement de technologies clé ou en baissant les coûts des composants, souligne-t-il, sans compter qu’ils offrent aux utilisateurs un moyen simple d’interagir avec les robots”.
Le troisième facteur étant l’IA, on pourrait également ajouter que les smartphones ont largement contribué à l’explosion du big data, qui est au cœur de l’entraînement des modèles d’apprentissage machine. Car c’est bien l’IA qui va servir à créer le pont entre les bits et les atomes, qui va permettre au robot qui nettoie le sol de votre cuisine et aspire le tapis de votre salon de savoir quoi faire, et où…
Voir et appréhender le monde
Aujourd’hui, les modèles haut de gamme évitent les obstacles, contournent les chaussures délaissées et, mieux encore, sont capables pour les plus avancés de saisir les objets qui traînent grâce à un bras mécanique et de les ranger, comme c’est le cas du Roborock Saros Z70.
Comment ? En partie grâce à l’IA, pas l’intelligence artificielle générative qui a le vent en poupe, mais l’IA du machine learning. Et pour ceux qui aiment les clins d'œil de l’Histoire, sachez que justement l’intelligence artificielle est devenue une discipline scientifique lors de la conférence de Dartmouth, en 1956… Oui, l'année de naissance du concept d’aspirateur-robot. Coïncidence ? Sans doute.
Quoi qu’il en soit, en réduisant les coûts et poussant le progrès, les smartphones ont permis aux ingénieurs d’intégrer des technologies de pointe. Une, puis deux, voire trois caméras RGB. Et un LiDAR aussi. Pourquoi ? Parce que le LiDAR sert à l’aspirateur-robot à cartographier son environnement en 3D, en repérant les murs, les sols, plafonds et portes, ainsi que les éléments qui bordent les pièces. Les caméras, elles, lui serviront à la navigation dans cet espace.
Et l’ajout de caméras n’est pas juste un luxe ou un caprice d’ingénieurs. “Nous avons constaté que les utilisateurs se plaignaient que de nombreux aspirateurs-robots sur le marché n’étaient pas capables d’éviter certains obstacles correctement et de s’approcher d’eux suffisamment pour bien nettoyer, commence James Zhao. Un problème qui était lié à la présence d’une seule caméra, qui imposait de fortes limites aux capacités de reconnaissance d’un aspirateur-robot.”
La solution était donc d’ajouter une seconde caméra pour faciliter la tâche des algorithmes à reconnaître les objets désormais perçus en trois dimensions.
L’humain a tendance à naturellement oublier que la vision par ordinateur n’est pas une mince affaire. C’est d’ailleurs pour cette même raison de reconnaissance des objets que les ingénieurs de Roborock ont ajouté une caméra à l’extrémité du bras mécanique du Saros Z70. “Elle fournit un autre angle de vision à la machine, mettent-ils en perspective. Imaginez que vous êtes face contre terre, que votre angle de vision est très bas. Dans cette position, il sera difficile pour vous de distinguer différents objets.” Cette observation est également vraie pour un robot. “Si vous avez une caméra, un point de vue à un angle plus élevé, votre vision prend de la hauteur, continuent-ils. Tout cela conduit à faciliter la reconnaissance d’objets pour le robot et à lui permettre de mieux interpréter son environnement.”
© Roborock
Si le matériel joue un rôle capital, le logiciel est bien évidemment au cœur de tout. Les aspirateurs-robots que les équipes de James Zhao aident à concevoir utilisent deux algorithmes pour détecter les objets. Le premier est concentré sur les plus gros : meubles, fauteuils, tapis, etc. Le second est destiné à reconnaître les éléments bien plus petits. Pour l’heure, il est entraîné pour en identifier environ 200. Ceci étant, les ingénieurs travaillent à des modèles futurs qui pourraient être capables de reconnaître des objets sans forcément les avoir rencontrés pendant leur entraînement, en s’aidant du contexte où ils les rencontrent, par exemple. L’ingénieur pense même que ces futurs algorithmes devraient “permettre aux robots de savoir si l’objet est fragile, ou plus simplement où il devrait être rangé…”
Mais avant d’en arriver là, il y a d’autres limites à dépasser, “celle de la taille minimale des objets, fixée à environ 1 ou 2 cm”, avertit James Zhao. Voilà qui explique que les petits jouets soient invisibles pour les aspirateurs-robots. “Mais pour certains obstacles ou objets spécifiques, comme les câbles, le diamètre peut être de plus ou moins 0,5 cm”, précise le responsable du développement de l’IA chez Narwal.
Des algorithmes intelligents au cœur de l’efficacité du robot
Chez Narwal comme chez Roborock, les ingénieurs utilisent des modèles de reconnaissance d’images open source. Le second est très avare en détails, tant le point est stratégique. L’ingénieur de Narwal a bien voulu détailler davantage sa position et ses pratiques. “Nous développons nos propres algorithmes, mais nous référençons aussi des algorithmes open source pour voir ce que nous pouvons améliorer”, explique-t-il, prenant la peine de préciser que lui et son équipe veillent à respecter scrupuleusement les licences.
Des modèles qui sont ensuite entraînés avec des images. Mais, souligne James Zhao, ses équipes utilisent des données provenant de vraies maisons. “Il y a de nombreux ensembles de données publiques ou open source. Mais nous trouvons que ces ensembles ne sont pas suffisamment bons pour que nos modèles fonctionnent correctement.”
Pour obtenir le niveau de qualité désiré, les équipes de Narwal ont mis en place un processus en deux temps. “Tout d’abord, nous travaillons avec notre équipe d’ingénieurs et nos partenaires à travers le monde pour collecter de gros volumes de données réelles, provenant de foyers volontaires. Elles jouent un rôle important.” Le travail de qualification des données est primordial pour bien entraîner un robot. “Ensuite, nous avons conçu notre propre plateforme de simulation d’entraînement, continue James Zhao. Ces modèles 3D très proches de la réalité permettent d’étendre notre ensemble de données avec des données d’entraînement synthétiques”, pour ne pas dire virtuelles.
© Les Numériques / Google Gemini
Le responsable de l’IA de Narwal nous confirme que sa solution de simulation s’apparente au projet Isaac de Nvidia, qui permet de créer des dizaines, centaines, voire milliers d’avatars virtuels d’un robot avec une réplication exacte de ses caractéristiques techniques et physiques, puis d’injecter le logiciel et les algorithmes qui piloteront le robot pour voir comme il évolue et réagit dans un environnement virtuel en 3D réaliste. “Un moyen d’accélérer le développement” des robots-aspirateurs, se félicite James Zhao. C'est d’autant plus important que le simple fait de déplacer les caméras dans le boîtier du robot, ce qui arrive au fil du développement, demande un réentraînement partiel des algorithmes de machine learning.
© Narwal
Des besoins de puissance croissants
Mais augmenter le nombre de caméras et la taille des modèles pour améliorer les capacités des aspirateurs-robots à évoluer dans nos intérieurs revient à créer un autre besoin : la puissance de calcul. Avec l’intégration de deux caméras haute définition (donc de deux flux vidéo) et d’un LiDAR, il a fallu trouver des puces plus performantes pour gérer les flux de données générées.
Les ingénieurs de la société chinoise sont allés les chercher du côté des voitures autonomes. Pas besoin ici de redondance pour la sécurité, mais penser qu’un robot-aspirateur comme le Narwal Freo Z10 Ultra embarque les mêmes puces que certaines voitures autonomes de niveau 2 ou 3 fait regarder ces petits robots d’une autre façon…
“La puissance de calcul est un point essentiel pour la gestion par l’appareil des tâches, qui n’est pas sans contrepartie, nous affirment les ingénieurs de Roborock. Avec la montée en puissance des processeurs les plus puissants, la consommation électrique croît également, ce qui a un impact direct sur l’autonomie […] tout spécialement dans des robots où les dimensions sont soumises à des contraintes, car elles jouent un rôle dans la navigation et la capacité du robot à opérer dans certains endroits” Sous un meuble, notamment… Construire un robot est décidément un jeu d’équilibriste.
Toujours plus d’intelligence pour un futur prometteur
À plus ou moins court terme, les équipes de James Zhao ambitionnent également de donner la capacité à leurs robots de s’adapter à la volée aux instances différentes de chaque domicile, d’apprendre de leur observation pour réaliser leur mission de nettoyage au mieux. Les prémices de ce futur peuvent être observées dans la capacité d’un aspirateur à repérer où votre animal de compagnie mange afin de nettoyer cet espace avec plus d’attention.
Narwal Freo Z10 Ultra
Car James Zhao envisage clairement un futur où “les aspirateurs-robots vont devenir des assistants domestiques, qui seront capables de comprendre finement le foyer, les habitudes de ceux qui y vivent, et pourront agir naturellement avec eux, tout en maintenant évidemment une propreté irréprochable.” À plus ou moins long terme, il les voit nettoyer les murs et même les vitres. Mais il pense aussi qu’un aspirateur-robot devrait être capable, au-delà des interactions basiques vocales ou au travers de l’application, de se rendre compte que des personnes parlent dans le salon ou qu’un enfant fait la sieste sur un canapé, et qu’il faut soit reporter le nettoyage, soit aller nettoyer une autre pièce qui doit l’être.
Il faudra donc que le robot soit capable de prêter a minima attention à son environnement et ceux qui y évoluent afin d’adapter son comportement dynamiquement.
© Narwal
Cette voie que les anglophones appellent l’awareness (et qu’on se refuse à traduire par “conscience”, “prise en compte” étant plus juste) est d’autant plus intéressante que ce ne sont pas les élucubrations d’un ingénieur isolé. Roborock l’envisage aussi en mettant en avant les quatre piliers stratégiques de son développement : penser, voir, entendre, nettoyer. Pour les ingénieurs de Roborock, “nous entr’apercevons déjà un peu le futur où l’IA mène la danse, quand nos appareils apprennent des habitudes des utilisateurs. Mais la prochaine étape sera d’anticiper les besoins afin que l’aspirateur non seulement nettoie, mais le fasse au meilleur moment, sans que l’utilisateur ait à bouger le petit doigt”.
Vers plusieurs types de robots ?
À nous l’oisiveté et une maison propre… Toutefois, on entrevoit assez aisément quelques-uns des défis que les équipes de James Zhao et celles de Roborock devront relever pour arriver à ce futur prometteur. L’amélioration logicielle sera longue et ardue, bien sûr, mais du côté du monde physique aussi les choses ne seront pas simples.
Les meilleurs aspirateurs-robots réussissent désormais plutôt bien à franchir une barre de seuil un peu haute. Mais placez-les face à un escalier et la partie est finie. Pour l’heure, les rendre capables de facilement grimper ou descendre des marches de manière systématique et efficace implique une augmentation trop importante du poids et de l’encombrement de ces appareils, ainsi que de leur prix.
Pour James Zhao, des évolutions du facteur de forme sont envisageables également pour lui permettre de faire plus de choses. “Nous pensons qu’une des directions à suivre sera de faire évoluer la structure mécanique des robots graduellement en différents types d’appareils pour couvrir les divers besoins des utilisateurs”, explicite-t-il. Des modèles compacts pour nettoyer le sol et les moindres recoins — ce qui est encore un défi aujourd’hui —, d’autres capables de s’attaquer aux murs et fenêtres, tandis que d’autres rangeront les objets qui traînent. Une petite armée à votre service dans un futur presque palpable…
© Narwal
Le défi qui fait tache…
Mais avant d’y arriver, il y a toujours d’autres obstacles à franchir. Ainsi, les robots-aspirateurs se heurtent à une limite fonctionnelle. L’IA leur permet de distinguer désormais avec acuité trois types de taches (sèches, humides et mixtes) auxquelles ils peuvent être confrontés. Les taches ou déchets secs sont confiés à l’aspirateur, puis à la serpillière, explique James Zhao. Les taches humides sont prises en charge par la serpillière seule…
Mais que faire quand il faut aspirer des petits détritus et qu’ils sont mouillés ? Comment s’assurer que le bac à poussière ne sera pas contaminé par l’humidité et malodorant ? Comment être certain que ces déchets ne s’amalgameront pas aux autres pour finir par boucher un tuyau au moment où ils seront aspirés dans la station du robot ?
Un détail, un rien, qui serait réglé par un coup d’éponge ou de balai-brosse par un humain, qui s’éloignerait alors en sifflotant heureux d’avoir fini sa corvée de nettoyage. Le robot, lui, saurait éventuellement émettre un sifflotement et reconnaître ce problème, mais pas le résoudre. Cette tache devient alors un symbole, un résumé des milliers de casse-têtes petits et grands que les ingénieurs ont encore à résoudre. Comme une tache bien visible sur le futur immaculé qu’on nous promet…
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